L’esclavage

L'esclavage dans l'océan Indien

Le système esclavagiste en Imerina (Madagascar) au XIXe siècle
Auteur
Lalasoa Jeannot RASOLOARISON

Professeur
Département d’Histoire
Université d’Antananarivo


Le système esclavagiste en Imerina (Madagascar) au XIXe siècle

À Madagascar, avant son abolition officielle en 1896, l’esclavage est défini comme l’état d’une personne sous la dépendance absolue d’un maître qui peut en disposer comme de tout autre bien . Il constitue un instrument entre les mains des dirigeants et des hommes libres pour faire fonctionner les activités administratives, économiques et sociales. La région de l’Imerina (dans le centre du pays), siège du pouvoir central du Royaume de Madagascar (1810-1896), demeure en tête de ligne dans son application. Dans la hiérarchie sociale précoloniale de l’Imerina, les esclaves occupent le dernier rang, derrière les Andriana (nobles), les Hova (roturiers), qui constituent une catégorie des hommes libres, et les Mainty enin-dreny (les Noirs aux six mères) qui représentent une autre catégorie des hommes libres.

L’esclavage : un système à vocation économique et sociale

Avant la colonisation française, Madagascar représente pour les Européens travaillant dans l’île un « pays d’esclaves » , étant donné que l’esclavage représente une institution de premier plan pour les besoins de l’économie et de la société et vu l’importance numérique de cette catégorie de population. En fait, les esclaves représentent le plus grand nombre parmi les groupes sociaux en Imerina. En 1896, selon le Résident général Laroche, à Tananarive, on enregistre 22 916 esclaves pour 43 028 habitants , soit 53 % du total de la population de la capitale. Au temps du Royaume de Madagascar, l’esclavage reste un mode d’organisation économique et sociale qui profite aux hommes libres. Pour mieux organiser le système, la reine Ranavalona II (1868-1883) instaure, à travers les articles 39 à 49 du Code des 305 articles, promulgué en 1881, un système de contrôle de l’emploi des esclaves chez les particuliers.
D’une manière générale, ces derniers ne peuvent acheter des esclaves que dans le but de les employer pour les différents travaux dans leurs domaines ou pour leurs propres intérêts. Sur le plan juridique, l’andevo représente pour son maître un bien ou une marchandise. Dans ce sens, il peut être vendu, loué, donné en gage, faire l’objet de toutes sortes de transactions car il ne jouit d’aucun droit civil ni politique. Il ne peut pas ester en justice ou intenter une action devant les tribunaux. Dans son existence, il ne peut pas posséder et n’acquiert que pour le compte de son maître .

En Imerina, avant l’avènement de la colonisation française, l’esclavage reste un moyen entre les mains des Andriana et des autres hommes libres comme les Hova pour le travail de leurs propriétés ou domaines agricoles. Les Andevo (les esclaves) demeurent des instruments économiques entre les mains de leurs maîtres, qui ont un mépris profond du travail manuel . Ils assurent le travail domestique, exploitent et travaillent les terres pour la production de vivres, destinés à assurer les besoins de leurs maîtres ainsi que ceux de leurs familles, ou encore ils exercent un travail salarié pour le compte de leurs maîtres. En somme, les esclaves constituent l’élément laborieux de la population. Toutefois, leurs conditions de travail sont pour quelques-uns loin d’être pénibles car leurs maîtres n’exigent d’eux qu’un travail raisonnable, leur laissant de nombreux loisirs .

Au sein d’une famille, on a une véritable division du travail pour les esclaves. Il y a d’abord les esclaves de la maison. Puis viennent les esclaves agricoles, les plus nombreux. Après, ce sont les esclaves pasteurs, chargés de la garde et du soin des troupeaux, les esclaves commerçants, généralement les plus intelligents et jouissant d’une réelle indépendance, enfin les esclaves porteurs, que leur maître loue souvent à des particuliers, moyennant un salaire dont ils gardent une partie . Ces qualificatifs et division du travail sont surtout appliqués aux esclaves masculins, tandis que leurs collègues féminines connaissent d’autres conditions d’existence. Les femmes esclaves constituent en quelque sorte des esclaves de luxe car elles sont employées, la plupart du temps, à l’intérieur de la maison leur maître ou accompagnent leur maîtresse dans ses sorties. Quelquefois, elles suivent leur maître en dehors de l’Imerina, leur servant de tsindry fe (littéralement presse-cuisse) ou esclaves concubines de leur maîtresse . Cette dernière adopte cette attitude pour éviter le concubinage de son mari avec les femmes autochtones. Cette situation concerne particulièrement les officiers merina envoyés s’installer dans les provinces conquises pour s’occuper des tâches administratives et militaires.

Les conditions d’existence des esclaves

Les conditions d’existence des esclaves restent différentes d’un maître à un autre. Si le maître est de condition modeste, l’esclave élevé dans la maison est souvent traité sur le pied d’une égalité apparente avec les membres de la famille. Pour l’esclave dont le maître n’est pas riche, il est soumis à des travaux pénibles. Chez un maître riche et puissant, qui possède de nombreux esclaves, on laisse souvent à ces derniers une liberté relative . Pour la première catégorie, les esclaves représentent le prolongement de la famille , tandis que pour les deux autres catégories, certains maîtres font travailler durement leurs esclaves pour s’enrichir en prélevant le tiers ou la moitié de leurs salaires. Même si les esclaves représentent des biens appartenant à leurs maîtres, leur traitement est d’une manière générale bon avec le comportement « humaniste » de la plupart des maîtres. Chez les Merina, selon Calixte Savaron,

les mauvais maîtres étaient rares. Le Hova est patient et se met rarement en colère ; il ne ne frappait jamais un esclave du pied ou de la main. Cela ne lui venait pas à l’idée, il aurait dérogé ; s’il devait user de châtiment, après plusieurs remontrances, il le justifiait devant la famille et les autres esclaves. L’esclave était frappé d’une houssine ou d’un nerf de bœuf. Il pouvait être puni des fers lorsque le délit était grave, vol au dehors par exemple ; lorsque l’honneur et la responsabilité du maître étaient en jeu, il y avait pour cela une procédure coutumière et des tribunaux .

À la fin du XIXe siècle, le bon comportement du maître envers ses esclaves est signalé par d’autres auteurs européens qui ont observé le fonctionnement de la société esclavagiste merina. Selon Ed.-C. André, « le maître considère l’esclave comme un des siens. Cet esclave en effet est sa chose, son bien, au même titre que sa rizière, son bœuf, mais c’est une chose intelligente, susceptible d’intérêt et d’amitié. (…) De tout temps, l’esclavage malgache se distingua par son caractère patriarcal » .

Dans la société merina, comme l’esclave représente une richesse pour son maître, il bénéficie d’une meilleure attention de la part de ce dernier. Selon le docteur Charles Ranaivo, vice-président du Comité qui présida à l’organisation des Fêtes données à Tananarive, les 8 et 9 Octobre 1909, à l’occasion de la pose de la première pierre du Monument destiné à commémorer la promulgation du décret [du 3 mars 1909] sur la Naturalisation :

Sous la monarchie hova [merina], (…) L’esclave véritable était plus heureux que l’homme libre parce que ne relevant que d’un seul maître, et parce que ce maître ne tenait ni à perdre ni à détruire sa chose. L’homme libre devait supporter toutes les exactions et toutes les vexations [des autorités royales]. Rien ne lui appartenait, il n’avait aucun droit .

Toutefois, comme l’esclave est la propriété de son maître, ce dernier peut utiliser son titre de propriétaire pour s’enrichir sur le dos de son esclave. Ainsi, pour l’esclave employé comme porteur, le maître peut ne pas se contenter de prélever sa part sur son salaire, il lui arrive de prendre encore les cadeaux qu’il peut recevoir . Pire encore, certains maîtres sans scrupule n’hésitent pas à s’emparer des biens de leurs esclaves lorsque ces derniers décèdent, faisant ainsi le manararao-paty . Dans la pratique, dès qu’un maître apprend la mort son esclave, il se déclare seul héritier. Il s’empare de toutes les économies du défunt et il saisit aussi l’argent des offrandes faites aux parents de l’esclave décédé à l’occasion de l’enterrement . D’une manière générale, l’esclavage reste un instrument d’usage économique et social pour l’accomplissement des différents travaux : travail domestique, travail agricole ou encore le portage. De ce fait, pour les Européens qui ont vécu à Madagascar au XIXe siècle, un Malgache sans esclaves est très malheureux et souffre de grands ennuis .

Au XIXe siècle, les dirigeants du Royaume de Madagascar adoptent comme stratégie pour résoudre le problème de la main-d’œuvre et toutes les questions qui s’y rattachent le recours au système de l’esclavage . Cette institution a été abolie à Madagascar par l’arrêté du 26 septembre 1896, publié par le Résident général. Avec cette mesure, les autorités coloniales comptent favoriser l’engagement des Malgaches à travailler chez des particuliers, notamment des colons français.

Notes
1 Ignace Rakoto, « L’esclavage dans le Royaume de Madagascar au XIXè siècle », in Ignace Rakoto et Sylvain Urfer, dir., Esclavage et libération à Madagascar, Paris /Antananarivo, Editions Karthala / Centre Foi et Justice, 2014, p. 19.
2 Savaron, « Mes souvenirs à Madagascar avant et après la conquête », Mémoire de l’Académie Malgache, Fascicule XIII, 1932, p. 13.
3 Ignace Rakoto, art. cit. in Ignace Rakoto et Sylvain Urfer, dir., op.cit., 2014, p. 24.
4 Léonce Jacquier, La main-d’œuvre locale à Madagascar, Paris, Imprimerie Henri Jouve, 1904, p. 69.
5 Françoise Raison-Jourde, Bible et pouvoir à Madagascar au XIXè siècle, Paris, Karthala, 1991, p. 405.
6 Léonce Jacquier, op.cit., 1904, p. 73-74.
7 Léonce Jacquier, op.cit., 1904, p. 73-74.
8 C. Savaron, art. cit., Mémoire de l’Académie Malgache, Fascicule XIII, 1932, p. 289.
9 A. Martineau, Madagascar en 1894, s.d., p. 399.
10 C. Savaron, art. cit., Mémoire de l’Académie Malgache, Fascicule XIII, 1932, p. 292.
11 C. Savaron, art. cit., Mémoire de l’Académie Malgache, Fascicule XIII, 1932, p. 292.
12 Ed.-C. André, De l’esclavage à Madagascar, Paris, Arthur Rousseau, Editeur, 1899.
13 Colonie de Madagascar et Dépendances – Ville de Tananarive, Discours prononcés au cours des Fêtes données le Samedi 9 Octobre 1909 à l’occasion de la pose de la première pierre du Monument destiné à commémorer la promulgation dans la Colonie du décret sur la Naturalisation, Tananarive, Imprimerie du Progrès, 1909.
14 A. Martineau, op.cit., s.d., p. 404.
15 Manararao-paty est un terme en usage en Imerina pour désigner l’acte accompli pour profiter de la mort de quelqu’un. L’auteur de l’acte en question est appelé mpanararao-paty.
16 A. Martineau, op.cit., s.d., p. 405.
17 Société Missionnaire de Londres, Revue Décennale 1870-80, cité dans Chapus et Dandouau, Manuel d’Histoire de Madagascar, Paris, Editions Larose, 1961, p. 131.
18 Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM) (Aix-en-Provence), 6 (5) D 2, Rapport de la 4e Commission de la Conférence économique du 25 janvier 1919.
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