L’esclavage

L'Église et l'esclavage

Église, État et Esclavage : les familles vendues comme
« biens nationaux » à l’île de La Réunion pendant la Révolution française
Auteur
Nathan Elliot MARVIN

Historien
Université de l’Arkansas à Little Rock


Église, État et Esclavage : les familles vendues comme
« biens nationaux » à l’île de La Réunion pendant la Révolution française

En 1789, l’Assemblée nationale à Paris s’empara des domaines et possessions de l’Église Catholique en France. Ces derniers furent déclarés « biens nationaux » et vendus pour résoudre la crise financière qui avait éclaté lors de la Révolution.

En France métropolitaine, les divers corps religieux possédaient une quantité immense de terres, de bâtiments, de bétail, et autres. Dans les colonies, ils comptaient aussi parmi leurs biens des milliers d’hommes, de femmes, et d’enfants
esclavisés . Et lorsqu’en 1793, les biens du clergé de La Réunion furent vendus, ceux-ci comprenaient une liste de noms de 358 êtres humains répertoriés comme « biens nationaux » .

Comment ce processus se déroula-t-il ? Plusieurs documents des Archives départementales de La Réunion et des Archives Nationales d’Outre-mer en témoignent. Ils fournissent également des indices précieux sur les expériences des victimes, permettant de nous faire comprendre comment ils vécurent ce drame et comment ils résistèrent.

Les « habitations curiales »

Dans les îles Mascareignes du XVIIIe siècle, le clergé était principalement composé de membres de la Congrégation de la Mission, plus communément appelés Lazaristes. Ces missionnaires s’impliquèrent dans l’esclavage à partir des années 1710, grâce à des contrats conclus avec la Compagnie des Indes. La Compagnie leur offrait des terrains pour leur subsistance et des esclaves pour les exploiter . Étant donné que ces terrains dépendaient des cures et non directement de la Congrégation, ils étaient officiellement désignés sous le nom de « habitations curiales » et étaient destinées à subvenir aux besoins des curés. Cependant, étant seuls responsables de leur gestion, les Lazaristes parlaient de ces terrains comme « nos habitations » et des esclaves qui y travaillaient comme « nos noirs » .

Au cours du temps, et à la demande des missionnaires, la Compagnie fournit plus d’esclaves pour les habitations dites « curiales », qui devenaient florissantes et même rentables grâce à la culture du café. Un recensement effectué en 1787 dénombre 426 esclaves à l’île de Bourbon (La Réunion) dont les prêtres sont indiqués comme maîtres .

La récolte du café à l’île de la Réunion. E. Th.. 1855. Estampe.
Coll. Musée Stella Matutina, inv. 40P1.CEV.62. Tous droits réservés

Les Lazaristes semblent avoir suivi de près les règles du Code noir des îles (Lettres Patentes de 1723) concernant le vêtement et la nourriture de leurs esclaves . Ils faisaient également preuve d’un paternalisme oppressif à leur égard, basé sur la surveillance et la discipline . Les missionnaires cherchaient à limiter le contact de leurs esclaves avec le monde extérieur par crainte, disaient-ils, de la corruption des « bonnes mœurs », en les maintenant toujours « sous leurs yeux » . Ils obligeaient leurs esclaves à assister régulièrement au catéchisme dispensé par les frères Lazaristes, dont le contenu même visait à instaurer l’obéissance au système esclavagiste. Par exemple, lorsque le père Philippe Caulier composa un décalogue en langue créole vers 1760, il traduisit le commandement « Honore ton père et ta mère » comme suit : « Porter raspect, obeïr à Pere et Mere, à Maitre, Maitresse, à tout ça qu’a droit commander à nous. Pas arzonner contre eux autes » .

Les Lazaristes se disaient obligés d’utiliser des châtiments corporels pour imposer cette obéissance. Certains missionnaires faisaient preuve d’un malaise face à cet aspect de leur quotidien. Comme l’observa le père Caulier : « Le Sauveur nous a laissé la houlette du Berger, et non le fouet du charretier ». Toutefois, cela ne devrait pas être interprété comme une position de principe contre la pratique de l’esclavage de la part du prêtre, mais plutôt comme un constat selon lequel il manquait de ressources pour répondre aux besoins temporels de sa paroisse, généralement pris en charge par les frères lazaristes. « Un Frère sage et vigilant dans chaque famille », expliqua-t-il, « y mettrait tout à l’unisson, et chacun y serait à son
rang » . Pourtant, l’un de ces frères n’était lui-même pas convaincu que ce travail était en accord avec sa vocation. Il écrit à un confrère en France : « Il faudrait être un fameux Docteur [théologien] pour me persuader qu’on gagne le ciel à faire ce métier » .

Nègre frappé du fouet. [1899 ?]. Gravure. In Le journal de Marguerite ou les Deux années
préparatoires à la première communion
, par Melle V. Monniot, vol. 2, p. 315.
Coll. Bibliothèque départementale de La Réunion, inv. R03445.315_1
Les missionnaires cherchaient également à réglementer la vie sexuelle des esclaves en séparant les esclaves célibataires par sexe et en les enfermant dans des « magasins » la nuit . Ils encouragèrent le mariage intra-muros comme moyen le plus sûr de limiter les relations sexuelles en dehors des habitations et aussi pour préparer les esclaves récemment arrivés au sacrement du baptême. « L’état de mariage les retint et les fixa », écrivit un missionnaire . Il faut souligner que cette politique pro-mariage et nataliste au sein de ce que les Lazaristes appelaient leurs « familles » avait à la fois des motivations religieuses et une dimension économique, car les contrats faits avec la Compagnie des Indes leur avaient interdit de participer activement à la traite des esclaves.

La « vente des hommes »

Dès les premiers mois de la Révolution française, l’esclavage colonial était un sujet de vifs débats pour les membres de l’Assemblée nationale . Non sans controverses, cette législature avait décidé que, pour le bien du commerce français, l’esclavage dans les colonies serait toléré. Son décret du 8 mai 1790 permit aux assemblées coloniales d’élaborer leurs propres constitutions pour régir leurs affaires de l’intérieur. Un deuxième décret, en date du 28 mars 1790, imposa aux colonies de supporter leurs propres frais de gouvernement . Se considérant représentant non-officiel de Bourbon à Paris, le colonel d’infanterie Pierre Riel de Beurnonville, propriétaire à Bourbon et marié à une femme créole de l’île, publia un projet de constitution qui circulait bientôt à Bourbon, dans lequel il proposa la liquidation des biens ecclésiastiques à Bourbon pour couvrir les frais du culte et de l’administration. Les êtres humains ne seraient explicitement pas exempts : « Dans la vente des biens du clergé seront compris les terres, bâtiments, esclaves, outils et ustensiles, à l’exception de six têtes d’esclaves par paroisse, réservées au service de chaque curé » .

En décembre 1790, l’Assemblée coloniale de Bourbon, qui avait reçu le projet de constitution de Beurnonville, se prépara à mettre en œuvre ce plan. Elle requit des curés de dresser l’inventaire de tous les biens de leurs cures . Comme on pouvait s’y attendre, les prêtres exprimèrent leur vive opposition, notamment le père Jean Lafosse, curé de Saint-Louis. Partisan de la Révolution, il avait même été élu maire par ses paroissiens. Il rédigea une lettre au procureur de sa municipalité remettant en doute la légalité de la vente des esclaves en particulier, car, écrit-il, « la constitution française reconnaît tout homme libre essentiellement. Conséquemment, l’Assemblée nationale ne pourra jamais décréter la vente des hommes pour éteindre une partie des dettes de l’État… » .

Vente d’une esclave. Madou, sc. ; Pierre Jacques Benoît, del.. 1931. Lithographie. In Voyage à Surinam. Description des possessions néerlandaises dans la Guyane, Pierre Jacques Benoit.
Bruxelles, Société des Beaux-Arts, 1839, pl. XLIII.
Coll. Médiathèque du musée du quai Branly – Jacques Chirac

Le père Lafosse fut accusé publiquement par ses voisins blancs de semer le trouble parmi les esclaves du quartier en les alertant du plan de les vendre comme des biens nationaux. On l’accusa même d’avoir affranchi de fait la plupart des travailleurs de la cure après avoir appris qu’ils seraient confisqués. En effet, le père Lafosse avait déclaré 73 esclaves à Saint−Louis en 1787, mais en 1793 lors des ventes publiques à Saint-Louis, le commissaire n’en nomma que 47 . Que leur est-il arrivé ?

Des esclaves eux-mêmes se déterminèrent à subvertir le statu quo colonial. En janvier 1791, lors d’une messe dominicale, l’esclave Amant refusa de céder sa place à un notable blanc, qui appela la police. Amant fut brutalisé et mis au bloc. Le père Lafosse réagit rapidement pour obtenir sa libération en adressant une lettre dénonçant la violence des autorités locales à l’égard d’Amant. Suite à ces interventions, des rapports de police firent état d’une foule d’esclaves rassemblée sur la place de la ville, prête à se révolter. Dans une lettre à ses supérieurs en France, M. Pierre Duvergé, commissaire ordonnateur à Bourbon entre 1789 et 1794, écrivit que « M. le Curé la Fosse est accusé de prêcher la liberté aux noirs. Vous sentez, Monsieur, le danger que l’on courrait si [un esclave] déterminé… pouvait joindre ce nouvel Apôtre . Ces actions valurent à Lafosse d’être obligé de démissionner de son poste de maire .

Toutefois, le père Lafosse s’avéra être dans l’erreur quant à l’Assemblée nationale. Le 18 août 1791, elle décréta l’envoi de commissaires civils aux Mascareignes pour y faire vendre les biens « meubles et immeubles appartenant à la nation ». Le décret ne mentionna aucunement la présence d’êtres humains parmi ces biens. Il est possible que ce détail ait été délibérément occulté par les membres du Comité des colonies qui proposèrent le décret . En octobre 1792, Marc Antoine Pierre Tirol, commissaire civil, arriva à Bourbon. Antiesclavagiste modéré, il ne croyait pas, tout comme le père Lafosse, que la constitution française permettrait le maintien de l’esclavage. Il entreprit des réformes pour améliorer le traitement des esclaves et simplifier les règles relatives aux affranchissements. Néanmoins, le 6 juin 1793, Tirol lança la vente aux enchères publiques de tous les biens ecclésiastiques inventoriés. Dans une lettre adressée au ministre de la Marine, Tirol s’expliqua en ces termes : « La Constitution ne permettant point l’esclavage, qui ne peut être toléré aux Colonies qu’en attendant qu’il ne puisse plus y avoir lieu, ce n’est point à la République à y avoir des esclaves et le moins qu’elle doive faire est de manifester ses intentions par l’exemple » . De quel « exemple » parlait-il ? Tirol précisa dans un rapport effectué lors des ventes aux enchères, que « lorsque je vends les biens nationaux, qui étaient autrefois des biens de l’Église… je prends toutes les précautions nécessaires pour éviter la séparation des familles noires » . Ce qui s’est réellement passé était tout à fait différent.

Acteurs de leurs propres résistances

Entre le 10 juin et le 22 juillet, parmi les 358 individus répertoriés comme « biens nationaux », 28 furent choisis par les prêtres pour rester à leur service en tant que domestiques (conformément à un règlement adopté par l’Assemblée coloniale, ils eurent le droit de retenir quatre esclaves de leur choix pour le service personnel, à condition qu’ils ne fussent pas qualifiés « de talent »). Par exemple, le père Lafosse sélectionna Amant, ostensiblement pour rester à ses côtés. De plus, 28 autres furent rachetés par les prêtres. D’autres furent laissés dans les habitations en raison de leur grand âge ou de leur infirmité. Au total, 266 personnes furent vendues à des particuliers.

Malgré les assurances écrites de Tirol, ce ne fut souvent qu’avec l’intervention des prêtres et des esclaves eux-mêmes que les familles purent demeurer intactes . Dans plusieurs cas, il semble que les esclaves aient été recrutés par leurs anciens maîtres, les missionnaires, qui étaient, comme nous l’avons mentionné précédemment, engagés à maintenir l’intégrité des mariages sacramentels et à garantir l’unité des familles.

Site des environs de la rivière d’Abord. Jean-Baptiste Geneviève Marcellin Bory de Saint-Vincent, dessinateur ; d’après Jean-Joseph Patu de Rosemont, peintre ; Fortier, graveur ; Adam, graveur. 1804. Eau-forte. In Voyage dans les quatre principales îles des mers d’Afrique, fait par ordre du gouvernement, pendant les années neuf et dix de la république (1801 et 1802), avec l’Histoire de la traversée du capitaine Baudin jusqu’au Port-Louis de l’île Maurice, J.B.G.M. Bory de Saint-Vincent, Paris : F. Buisson, 1804, Tome 4, pl. XI
Coll. Musée historique de Villèle, inv. 1989.540

À Sainte-Suzanne, par exemple, la famille de Vincent et de Louise, un couple septuagénaire, fut répartie en trois lots distincts pour être vendue séparément. Le père Rollin, après avoir acquis les deux parents et leur fille Adélaïde, acheta leur fils Honoré âgé de 30 ans, pour une offre trois fois supérieure à sa valeur estimée par les agents de l’Assemblée coloniale lors de l’inventaire des biens de la cure en 1791 (à 2 000 livres), car Honoré était « estropié du bras droit ». Un deuxième prêtre, le père Gadenel, fait une offre supérieure à la valeur estimée pour le petit Jean-Louis-Vincent, âgé de 12 ans, que l’on avait tenté de vendre à part. Toutes ces transactions ont permis d’éviter la séparation des membres de la famille de Vincent et de
Louise .

D’autres cas dans les archives montrent que les prêtres agirent explicitement au nom de leurs esclaves. Dans une lettre datée du 19 mars 1795, le père Rollin exprime que Justine, séparée de son mari, Louis, lors des ventes des biens à Saint-André, « désire ardemment » se réunir avec lui, récemment « mis au collège ». Le père Rollin espère aussi réunir Marguerite, une employée du collège, avec ses parents toujours chez lui au presbytère. Le Père Rollin propose un échange, « si la République l’accepte » .

D’autres cas témoignent de l’intervention directe des esclaves, avec ou sans le soutien des prêtres, dans leur quête d’améliorer le sort de leurs familles. Autant que possible, ils étaient des acteurs de leur propre résistance. À Sainte-Marie, par exemple, les procès-verbaux des ventes de 1793 mentionnent François, qualifié de « Commendeur, créole, épileptique », aux côtés de sa femme Henriette, également créole, et de leurs cinq enfants, tous ensemble. Cependant, cela n’était pas prévu. Selon une directive de l’Assemblée coloniale en 1791, seuls les couples mariés « devant l’autel » et leurs enfants de moins de sept ans devaient être regroupés dans le même « lot ». Pierre-Louis, âgé de onze ans, avait été enregistré dans un lot séparé. Toutefois, au moment même où un agent municipal effectuait l’inventaire des biens de Sainte-Marie, en 1791, les parents de Pierre-Louis intercédèrent pour demander qu’il fût réuni avec eux. On se demande cependant si l’agent accepta uniquement parce que le petit Pierre-Louis était marqué comme « estropié », et donc avait potentiellement une valeur inférieure à celle d’autres enfants de son âge .

Un autre cas concerne Amand, âgé de 90 ans, qui avait passé toute sa vie sur l’habitation curiale de Sainte-Suzanne et devait y « prendre sa retraite », conformément aux règles établies pour les personnes âgées par le commissaire civil Tirol. Au moment de la vente de ses enfants adultes, Denis et Pauline, « il a été annoncé comme condition Expresse que le nommé Amand leur père âgé de quatre-vingt-dix ans ne voulant pas quitter ses enfants et les enfants ne voulant pas se séparer de leur Père », irait vivre chez l’acheteur. Sa nourriture en maïs serait fournie par « la République » et il ne serait « point Sujet au travail ». Tirol lui-même proposa ces dernières conditions .

Quelle importance historique ?

Le produit final des ventes des biens (terres, esclaves et meubles) surpassa les attentes de Tirol, atteignant près de 5,6 millions de livres tournois. Près de la moitié de cette somme provenait de la vente d’êtres humains, qui étaient devenus une rareté dans ce contexte de guerre et donc de coupure de la traite. Madame Beurnonville, dans une lettre adressée à son mari pour lui annoncer la clôture des ventes (et donc la concrétisation de son plan initial), remarqua que « les noirs en particulier ont été vendus à des prix exorbitants » . Le succès financier des ventes permit à Tirol d’établir le premier système fiscal à Bourbon capable de se passer des subventions métropolitaines . Le succès financier des ventes permit à Tirol d’établir le premier système fiscal à Bourbon capable de se passer des subventions métropolitaines. En effet, à La Réunion, les acheteurs des biens étaient contraints de payer le trésor de la Colonie en plusieurs versements sur une période pouvant aller jusqu’à trois ans – c’est-à-dire jusqu’en 1796 – bien après le décret d’abolition de la Convention nationale de 1794, une abolition que l’élite de l’île s’efforçait de bloquer complètement et en toute impunité.

Portrait de l’Abbé Grégoire. Pierre-Joseph-Célestin François (1759-1851). 1800. Huile sur toile.
Coll. Musée Lorrain, Dépôt du musée des Beaux-Arts de Nancy, inv. D.III.711

Comment réagit-on à Paris ? En 1797, l’abbé Henri Grégoire, alors membre du Conseil des Cinq-Cents et bien connu pour ses actions contre l’esclavage, accueillit avec enthousiasme la nouvelle selon laquelle les propriétés ecclésiastiques de l’île de La Réunion avaient été vendues pour des millions de francs. Cette vente représentait pour lui une étape cruciale vers la « régénération » du clergé colonial français qu’il considérait comme devenu avide et inefficace en raison de son implication dans l’esclavage. Toutefois, dans un rapport adressé à ses confrères membres de l’Église constitutionnelle, l’abbé Grégoire admit avec consternation que des « Africains malheureux » avaient été vendus avec les terrains, les colons des Mascareignes n’ayant toujours pas « publié le décret qui leur accordait la liberté » . Ces commentaires suggèrent que l’abbé Grégoire, et peut-être d’autres législateurs opposés à l’esclavage, fermaient les yeux sur le fait que la République continuait à tirer des revenus de la « vente des hommes » malgré son interdiction officielle de cette pratique.

 

Notes
[1] Au XVIIIe siècle, le clergé possédait des esclaves dans presque tous les espaces coloniaux européens du monde. Pour la plupart, leurs esclaves étaient des travailleurs agricoles sur des habitations établies pour financer les œuvres des missions, mais ils étaient aussi des domestiques, des artisans, des sacristains ou servants de messe, des interprètes, etc. Voir Christopher Kellerman, All Oppression Shall Cease: A History of Slavery, Abolitionism, and the Catholic Church (Maryknoll: Orbis Books, 2022) ; Pier M. Larson, Ocean of Letters: Language and Creolization in an Indian Ocean Diaspora (Cambridge: Cambridge University Press, 2009) ; Margaret M. Olsen, Slavery and Salvation in Colonial Cartagena de Indias (Gainesville: University Press of Florida, 2004). Selon mes propres recherches, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les corps religieux possédaient au moins 3 000 esclaves dans les colonies françaises. Pour visionner une carte de données avec des références, voir « Slaveholding Clergy in the Long Eighteenth Century: A Reference Map » (https://arcg.is/1eyiz).
[2] Parmi les colonies françaises, ce n’est qu’à La Réunion que les biens du clergé furent vendus systématiquement pendant la Révolution. Dans d'autres colonies françaises, les biens furent saisis, séquestrés, loués, ou vendus de façon sporadique. À Saint-Domingue en mai 1793, les Commissaires civils Sonthonax et Polverel émirent une proclamation visant à réprimer les forces rebelles du Sud et de l'Ouest de la colonie. Leurs ordres à Port-au-Prince déclaraient que toutes les propriétés appartenant ou gérées par les institutions religieuses faisaient dorénavant partie du « domaine de la République ». Ils exigèrent des inventaires de ces biens, y compris des listes d’esclaves qui y vivaient. Cependant, peu après, les deux commissaires civils abolirent l'esclavage dans son intégralité à Saint-Domingue (Sonthonax prit cette mesure en août 1793 dans le Nord, tandis que Polverel le fit en octobre 1793 dans le Sud et l'Ouest). En Martinique, le 24 septembre 1793, l’Assemblée républicaine vota la confiscation des « biens du clergé ». Ils ne furent pas vendus, mais loués. La fameuse habitation des Dominicains au Fonds Saint Jacques (et ses 500 esclaves) restait entre les mains des prêtres. À Maurice comme en Guadeloupe, certaines propriétés de l'Église furent mis en régie et vendus morceau par morceau, mais cela n’eut lieu qu'à l'époque du Consulat de Napoléon. Voir Jacques Adélaïde-Merlande, La Caraïbe et la Guyane au temps de la Révolution et de l’Empire, 1789-1804 (Paris : Karthala Editions, 1992), 207; P. A. Cabon, Notes sur l’histoire religieuse d’Haïti : de la Révolution au Concordat (1789-1860) (Port-au-Prince : Petit Séminaire Collège Saint-Martial, 1933); Liliane Chauleau, « La Révolution Française à La Martinique », Proceedings of the Meeting of the French Colonial Historical Society 22 (1998) : 49–63; William Cormack, Patriots, Royalists, and Terrorists in the West Indies: The French Revolution in Martinique and Guadeloupe, 1789-1802 (Toronto: University of Toronto Press, 2019), 170; Louis Guilbaud, Les Étapes de la Guadeloupe religieuse (Basse-Terre, Guadeloupe : Imprimerie Catholique, 1935), 162–63 ; Alfred Martineau and Louis Philippe May, Trois siècles d’histoire antillaise. Martinique et Guadeloupe de 1635 à nos jours (Paris, 1935) ; Henri Prentout, L’Ile de France sous Decaen, 1803-1810 : essai sur la politique coloniale du premier empire, et la rivalité de la France et de l’Angleterre dans les Indes Orientales (Paris : Hachette, 1901), 172. Des recherches supplémentaires seront nécessaires pour déterminer si, en Guyane, les esclaves ont été vendus en tant que « biens nationaux » - ceux de la Congrégation du Saint-Esprit, par exemple, qui géraient plusieurs établissements en Guyane.
[3] Selon le premier contrat passé entre la Congrégation de la Mission et la Compagnie des Indes orientales (22 octobre 1712), les missionnaires desservent les paroisses de l'île et évangélisent les esclaves qu'on y transporte de l'Inde, de l'Afrique et de Madagascar. En échange, la Compagnie leur offrait (en usufruit) des terrains et un esclave par prêtre pour leur subsistance. « Traité fait entre la Compagnie et Messieurs de Saint-Lazare », 22 octobre 1712, Archives Nationales d’Outre-mer, COL F3/206. Un deuxième contrat en mars 1721 ouvrit une mission lazariste sur l'île de France, récemment acquise par la Compagnie. Ce contrat accordait quatre esclaves supplémentaires par prêtre pour aider à protéger les cultures des singes. « Manuscrit de G. Perboyre (Mémoires de la Mission) », Archives de la Congrégation de la Mission, Registre 1506, Tome I, 210-213. Entre 1736 et 1739, la Congrégation renégocie ces termes plusieurs fois, obtenant une augmentation du nombre d'esclaves fournis par la Compagnie (de 16 à 20 par prêtre). Ainsi, ils bénéficiaient d'une hausse de « pensions » ainsi que d'une exemption des charges imposées aux autres habitants, à savoir la capitation sur le nombre d'esclaves et la corvée, c'est-à-dire le travail des esclaves pour les projets publics. « Concordat entre la Compagnie des Indes et la Congrégation de la Mission pour le service… » (Paris, 27 juillet 1736. ADR, C°1.070) ; « Annexe au concordat ci-dessus » (Paris, 3 mars 1739. ADR C°1.072). Lorsque les administrateurs de la Couronne française prirent possession des îles Mascareignes en 1767, le statut des propriétés curiales demeure ambigu jusqu'à la Révolution. Une ordonnance du roi du 15 septembre 1766 ordonnait simplement qu’une “distinction” serait respectée entre les biens appartenant à la Congrégation de la Mission et ceux appartenant aux paroisses ou à l’ancienne Compagnie des Indes. Jean-Baptiste Etienne Delaleu, ed., Code des Iles de France et de Bourbon, Deuxième Édition, vol. I (Port-Louis : Tristan Mallac & Cie., 1826), 9.
[4] Une lettre écrite par un frère lazariste vers 1740 utilise ce langage. Il démontre aussi le succès du plan conçu entre la Compagnie et la Congrégation : « Nos maisons sont presque toutes fournies de noirs pour faire valoir nos habitations et nous faire vivre, ainsi les grandes dépenses sont faites. » Lettre du frère Etienne Lecocq, vers 1740. L'original est conservé aux Archives Nationales, M/214, dossier 9, pièce 4, sous la forme d'un manuscrit anonyme. Une reproduction paginée de ce document existe sous le nom de « Lettre écrite par un missionnaire », dans les Archives de la Congrégation de la Mission (Paris), Registre 1504. Jean Barassin attribue la lettre à un frère lazariste, Etienne Lecocq ; d’autres l’avaient attribuée à un frère Lebel. Voir Jean Barassin, Histoire des établissements religieux de Bourbon au temps de la Compagnie des Indes, 1664-1767 (Saint-Denis : Fondation pour la recherche et le développement de l'océan Indien, 1983), 194 n16.
[5] « Recensement de l’île Bourbon, 1787 », Archives Nationales d’Outre-Mer, G1480. 187 esclaves à l'île de France (Maurice) aussi en 1789. « Recensement Général de l’Isle de France » 1780, Archives Nationales d’Outre-Mer, G1474. Il y avait aussi dans les îles Mascareignes une communauté de religieuses, les Sœurs grises de Saint-Maurice, dites de Saint-Paul de Chartres. Ces sœurs furent recrutées pour travailler dans les hôpitaux des deux îles. Elles étaient aidées par des esclaves fournis par la Compagnie ou la Couronne.
[6] La correspondance des missionnaires indique que la nourriture, les vêtements et les soins médicaux sont des priorités qui sont activement prises en compte. Lettre du père Philippe Caulier à l’Archevêque de Paris, Paris, 20 juillet 1772, Archives de la Congrégation de la Mission, fol. 216 (p. 12).
[7] Cela correspond à ce qu'observent des historiens à propos d'autres communautés religieuses propriétaires d'esclaves. Voir Emily Clark, Masterless Mistresses: The New Orleans Ursulines and the Development of a New World Society, 1727-1834 (Chapel Hill: The University of North Carolina Press, 2007) ; Travis Glasson, Mastering Christianity: Missionary Anglicanism and Slavery in the Atlantic World (New York: Oxford University Press, 2012) ; Stephan Lenik, “Mission Plantations, Space, and Social Control: Jesuits as Planters in French Caribbean Colonies and Frontiers,” Journal of Social Archaeology 12, no. 1 (February 1, 2012): 51–71 ; Jon F. Sensbach, “Brothers in Bondage: The Moravians’ Struggle with the Institution of Slavery,” Tar Heel Junior Historian 51, no. 2 (spring 2012).
[8] Lettre du père Philippe Caulier, 6 mai 1785, Archives de la Congrégation de la Mission, Registre 1504, fol. 242v.
[9] Philippe Caulier, « Petit Catéchisme de l'Île de Bourbon tourné au style des esclaves nègres », vers 1760. Archives de la Congrégation de la Mission, Registre 1502 (sans folio).
[10] Lettre du père Caulier à Antoine Jacquier (Supérieur général des Lazaristes) vers 1764, Archives de la Congrégation de la Mission, Registre 1504, f. 61v.
[11] Lecocq, op. cit.
[12] Lecocq, op. cit.
[13] Lettre de Pierre-Joseph Teste (préfet-apostolique, 1746-1772) à l'archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, le 1er mars 1764. Archives de la Congrégation de la Mission, Registre 1504, f. 189v. Les archives révèlent clairement les conséquences des choix des missionnaires : En 1768, parmi les 45 esclaves adultes vivant dans les deux habitations de Saint-André et de Sainte-Suzanne, 35 étaient mariés, la plupart ayant des enfants. Parmi les 74 esclaves recensés dans ces deux paroisses, seuls trois n'étaient pas liés par des liens familiaux avec un autre individu qui appartenait à l'une des deux habitations. Archives départementales de La Réunion, 57H : « Etat des biens de la cure du dit lieu de Saint-Suzanne et de Ceux appartenants a la Congregation des pretres de Saint Lazare » 30 janvier 1768.
[14] Lauren R Clay, “Liberty, Equality, Slavery: Debating the Slave Trade in Revolutionary France,” The American Historical Review 128, no. 1 (March 1, 2023): 89–119 ; Miranda Frances Spieler, “The Legal Structure of Colonial Rule during the French Revolution,” The William and Mary Quarterly, Third Series, 66, no. 2 (April 1, 2009): 365–408.
[15] Assemblée nationale, “Décret du 28 mars 1790 concernant les colonies, suivi d’une instruction pour les îles de Saint-Domingue, la Tortue, la Gonave et l’île à Vaches, en annexe de la séance du 30 septembre 1791,” Archives Parlementaires de la Révolution Française 31, no. 1 (1888) : 728–34.
[16] Pierre Riel de Beurnonville, Projet de constitution coloniale pour l’Isle de Bourbon ; par le colonel P. R. Beurnonville, député extraordinaire des villes de Brou et la Ferté-sur-Aube, à l’Assemblée Nationale (Paris : l’Imprimerie du Patriote François, 1790), 42.
[17] Claude Wanquet, Histoire d’une Révolution. La Réunion, 1789-1803, vol. I (Marseille: Éditions Jeanne Laffitte, 1980), 401.
[18] Copie d’une lettre du père Lafosse à Legrand, sans date, Archives départementales de La Réunion, L319/1.
[19] « Recensement de l’île Bourbon, 1787 », Archives Nationales d’Outre-Mer, G1480 ; « Récapitulation générale du produit de la vente des Biens nationaux autrefois Biens curiaux », Saint-Denis, île de Bourbon, le 31 décembre 1793. Archives nationales d’Outre-mer, C3/22, Pièce 238.
[20] Archives départementales de La Réunion, L85. Lettre de Duvergé, St. Denis, le 23 Janvier 1791.
[21] Sur le sujet du père Lafosse et d’Amant, voir Albert Jauze, “Jean Lafosse, curé de Saint-Louis de la Révolution à la Restauration. Pistes de recherches sur le personnage,” Revue Historique de l’océan Indien, no. 15 (2018) : 491 ; Prosper Eve, La religion populaire à la Réunion (Sainte-Clotilde, Réunion : Université de la Réunion, Institut de linguistique et d’anthropologie, 1985).
[22] Les membres du Comité des Colonies, qui conseillaient et proposaient des lois sur les colonies en collaboration avec le ministère de la Marine, étaient de plus en plus influencés par les intérêts coloniaux. Ils redoutaient que de nombreux députés considèrent l'approbation de l'esclavage comme une trahison des valeurs. Pour cette raison, il semble plausible qu'ils aient délibérément occulté le fait que des êtres humains constituaient une part importante de la valeur des propriétés ecclésiastiques et domaniales destinées à être vendues aux colonies. Concernant les opérations « sous le sceau du secret » du Comité des Colonies, voir Manuel Covo, “Le Comité des Colonies,” La Révolution française. Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, no. 3 (December 20, 2012). Effectivement, il existe des exemples concrets de cette dissimulation. Lorsque le Comité des Colonies a publié un rapport et un projet de décret en ce sens à l'Assemblée législative, son auteur Levavasseur, ayant des liens avec Bourbon lui-même, a reproduit presque mot pour mot l'article de la Pétition de l'Assemblée coloniale demandant l'autorisation de vendre les biens du clergé. Cependant, il a délibérément omis deux mentions de l'esclavage dans le texte destiné à ses collègues de l'Assemblée législative. Léon Levavasseur, Rapport et projet de décret, concernant la colonie de l’isle de Bourbon, Présentés, au nom du Comité Colonial, par Léon Levavasseur, Député du Département de la Seine-Inférieure, imprimés par délibération du Comité, en vertu du décret de l’Assemblée Nationale (Paris : Imprimerie de l’Assemblée Nationale, 1792). Il semble en effet que ce rapport n'ait jamais été lu à voix haute et que le projet de loi n'ait jamais été débattu à l'Assemblée. Jérôme Mavidal and Émile Laurent, eds., Archives parlementaires de 1787 à 1860 : recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises, vol. L (Paris : Paul Dupont, 1896), 592, note de bas de page 1.
[23] Tirol au Ministre de la Marine, 30 juillet 1793. Archives nationales d’Outre-mer, C3/22, Pièce 104.
[24] Tirol au Ministre de la Marine, Saint-André, 19 juin 1793. Archives nationales d’Outre-mer, Pièce 82.
[25] Ces documents sont organisés de manière méthodique et suivent les ventes aux enchères qui se déroulaient publiquement sous l'égide de Tirol, de canton en canton, commençant par Sainte-Marie, faisant le tour de l'île et se terminant à Saint-Denis. Ils donnent des détails sur l'âge, le sexe, la « caste » des individus (par exemple, « créole » pour les personnes nées sur l'île, « cafre » pour une origine africaine, malgache ou indienne), mais indiquent aussi leur prix, exprimé en livres tournois pour les différents groupes de personnes, présentés comme des « lots ». « Récapitulation générale du produit de la vente des Biens nationaux autrefois Biens curiaux », Saint-Denis, île de Bourbon, le 31 décembre 1793. Archives nationales d’Outre-mer, C3/22, Pièce 238.
[26] « État des biens de la Cure Sainte Suzanne, » 23 février 1791, ADR, L388.
[27] Lettre du P. Rollin datée du 19 mars 1795. ADR L300.
[28] Gontran Wellement and Augustin Robert, “Inventaire des biens curiaux du Canton Sainte-Marie. 21 février 1793,” in Morts violentes, peines infamantes, condamnations et faits insolites concernant les esclaves et affranchis de Bourbon : (XVIIIe-XIXe siècles), ed. Albert Jauze, Les inédits de l’histoire 3 (Réunion: Les Éditions de Villèle, 2014), 45–50.
[29] Actes de la vente des Noirs du canton de Sainte-Suzanne, 14 juin 1793. Archives départementales de La Réunion, L388.
[30] Lettre de Madame de Beurnonville, Saint-Denis, le 10 août 1793. AN, D/XXV/130.
[31] Wanquet, Histoire d’une Révolution. La Réunion, 1789-1803, I:627.
[32] Grégoire, « De l’état de la Religion dans les Isles de France et de la Réunion », Annales de la Religion, No. 14, 5 August 1797, p. 325-6. Comme l'historienne Alyssa Sepinwall le souligne, pour Grégoire, à la suite de la Terreur, la France ne pouvait se renouveler que par des réformes touchant à la fois son domaine religieux et impérial. Alyssa Goldstein Sepinwall, The Abbé Grégoire and the French Revolution: The Making of Modern Universalism (Berkeley: University of California Press, 2005), 145.
+ Afficher
— Masquer
L’esclavageL'Église et l'esclavage
Imprimer
le texte au format PDF
Partagez cette page
sur les réseaux
   
Auteur
Nathan Elliot MARVIN

Historien
Université de l’Arkansas à Little Rock