L’esclavage

Résistances à l’esclavage

La résistance des esclaves à l’île Bourbon – La Réunion
Auteur
Prosper EVE

Historien
Université de La Réunion


La résistance des esclaves à l’île Bourbon – La Réunion

L’esclave désire vivre libre. Si le droit le définit comme un bien meuble, il se sait libre. L’île Bourbon s’approvisionne en captifs importés issus de la traite réalisée en Afrique, à Madagascar, en Inde, en Asie et leur nombre augmente avec les esclaves qui naissent appelés créoles, car c’est le ventre qui donne le statut à l’enfant.

Dès lors, pour supporter leur état nié au plus profond d’eux-mêmes, ils résistent. Leur résistance présente deux visages, l’une violente – le marronnage, la fuite par mer, la révolte – et l’autre non-violente, le chant, le refus de concevoir, la danse, les jeux de mots, le rire.

Le marronnage

L’évasion. Tony de B. del. In : Les Marrons, L.-T. Houat, Paris, Ebrard, 1844.
Bibliothèque administrative et historique des Archives départementales de La Réunion

La question de l’étymologie

Pendant longtemps, la définition acceptée par tous, rattache le terme marron à l’expérience des Espagnols dans le monde amérindien. Victor Schoelcher s’en tient à « cimarron ».

Pour les médiévistes, ce mot « cimarron » qui signifie en réalité « broussaille » ne convient pas pour désigner le marron, l’esclave qui a rompu le ban. Ils établissent le lien entre des termes courants au XIVème siècle : marron – marronniers : guides de montagnes et porteurs des Alpes, marronnier – pirate et marroner : faire le pirate, marron et latrone : voleurs. Les marrons constituent la première génération de défricheurs et de colons dans certains lieux de l’avant-pays alpin. Le mot marron se retrouve dans la langue romane puis française pour désigner les animaux domestiques retournés à l’état sauvage.

Les Français implantés à Bourbon aux XVIIème et XVIIIème siècles ont pu utiliser ce terme pour désigner les animaux en errance, d’où les expressions chat marron, cabri marron, porc marron parvenues jusqu’à nous et ils ont pu l’étendre aux esclaves qui s’enfuyaient de la propriété de leur maître et qui gagnaient la montagne. En 1997, le Dictionnaire du monde rural de Marcel Lachiver définit ainsi le mot marron : animal domestique redevenu sauvage.

Le gouverneur La Hure (1671-1674) figure parmi les premiers gouverneurs autoritaires et tyranniques. Selon la tradition, il a fait fusiller et écarteler son garde-magasin, Véron. Pour échapper à sa tyrannie, quelques habitants s‘enfuirent et se retranchèrent au Piton de Grande Anse. Ils sont qualifiés de kivis, mot malgache signifiant marron. En novembre 1674, lors du passage, du vice-roi des Indes, Jacob Blanquet de La Haye, il fait rappeler les habitants déserteurs. Jacques Launay va sur la côte sud sonner l’ancive et les fugitifs reviennent.

Sous le gouverneur d’Orgeret (1674-1678), quand les Noirs apprennent qu’à Fort-Dauphin les Malgaches se sont révoltés contre les Français, le 27 août 1674, ils décident de massacrer les Blancs sauf les femmes, le chirurgien et le prêtre. Ceux qui sont arrêtés sont pendus. Les autres s’enfuient dans les montagnes et ils font des incursions nocturnes sur les habitations isolées. La principale préoccupation du gouverneur Vauboulon (1689-1690) a été de tourmenter les habitants. Ainsi, il fait arrêter Brocus pour avoir donné de l’oignon et de l’ail à des esclaves marrons. Il le condamne à faire amende honorable, à porter un écriteau sur sa poitrine et un autre dans le dos portant l’inscription « protecteur des noirs marrons » et à être attaché au carcan

Les motifs du marronnage

Les esclaves partent en marronnage parce qu’ils veulent recouvrer la liberté, ils ne peuvent témoigner leur affection à un proche, ils ne supportent plus d’être battus brutalement et humiliés, ils sont insuffisamment nourris, ils sont accusés de crimes non commis Mais au départ, il s’agit d’une décision éminemment culturelle. Sur le navire qui les mène à Bourbon, les esclaves pris en Afrique et à Madagascar ont peur de mourir en mer en pensant que leur âme serait ainsi condamnée à l’errance. Lorsqu’ils arrivent dans l’île, ils doivent vaincre une autre peur, la peur de mourir loin des ancêtres. Aller en marronnage pour résoudre la question du tombeau ancestral est une nécessité.

L’Habitation. Tony de B. del. In : Les Marrons, L.-T. Houat, Paris, Ebrard, 1844.
Bibliothèque administrative et historique des Archives départementales de La Réunion

Lorsqu’ils s’installent dans la partie montagneuse de l’île, les marrons malgaches constituent des royautés en imitant le modèle politique de leur pays d’origine. Le chef est appelé roi et sa femme, reine. Le roi est assisté de capitaines et de lieutenants. A leur mort, le roi comme ses chefs militaires méritent une sépulture sacrée, le culte qui leur est rendu est reconnu par la postérité, ce qui explique leur poids dans la toponymie. Grâce à ces tombeaux ancestraux, les âmes des esclaves morts dans l’île ne sont plus condamnées à l’errance. Les camps et les chefs qui apparaissent dans les rapports des chasseurs de marrons traduisent bien un commencement d’organisation sociale que Jean Barassin qualifie d’Etat, Royaume ou République. « Etat parce que c’était un Etat dans l’Etat, sans limites définies, Royaumes parce qu’il y avait des rois et République puisque le pouvoir venait du peuple, était dévolu au plus puissant ».

Les esclaves fugitifs nomment presque tous les points remarquables des régions altières : Salazes, Cilaos, Cimendef, Bénoum, Orère, Anchaing, Matouta. Dimitil occupe la position de capitaine ; il règne sur une vaste région allant des Hauts de Saint-Paul à ceux de Saint-Pierre. En 1752, le chef de détachement François Mussard apprend l’existence du roi Laverdure et de sa femme, la reine Sarlave. Il a pour lieutenant Sarcemate. En 1844, le voyageur M. C. Lavollée mentionne un cimetière dans un des plis du Piton des Neiges où les esclaves africains ensevelissaient les têtes de leurs compagnons. En 1846, une chambre sépulcrale remplie d’ossements signalée au pied des Salazes.

Vie matérielle du marron

Les marrons ont été les premiers défricheurs de la partie haute de l’île. Ils vivent en autarcie. Ils pratiquent une petite agriculture : essentiellement du maïs, des haricots, des patates douces, des songes. Ils se livrent à la chasse de cabris et de porcs marrons, de fouquets, ainsi qu’à la pêche dans les rivières. Ils s’adonnent au ramassage de miel, d’andettes (larves qui fouillent leurs galeries dans les troncs d’arbres morts), de fruits. Ils construisent leurs cases faites de bois équarri, ou de bois rond et construites avec soin. Parfois, ils se contentent de boucans enfumés, ou de cases en feuilles appelées « ajoupas », ou de « baraques ». Le camp se compose aussi de « hangards ». Certains élisent domicile dans des cavernes à deux ou trois. Les camps fortifiés par une palissade, gardés par des sentinelles sont implantés dans des endroits escarpés, inaccessibles et faciles à surveiller. Certains sites sont entourés de pierres que les marrons font rouler sur les assaillants pour retarder leur avance. Comme armes, ils ont au début quelques fusils et pistolets subtilisés lors des razzias, mais faute de poudre ceux-ci sont vite inutilisables. Ils doivent alors se contenter de leurs sagayes et l’issue de la lutte ne peut que leur être défavorable. Certains qui rêvent de quitter l’île par la mer fabriquent aussi dans le haut des ravines des pirogues ou des canots, même une chaloupe. La vie est difficile pour ceux qui ne sont pas pris en charge par des marrons aguerris.

La caverne. Tony de B. del. In : Les Marrons, L.-T. Houat, Paris, Ebrard, 1844.
Bibliothèque administrative et historique des Archives départementales de La Réunion
Île-de-France. Vue de la Montagne du Pouce et d’un défriché. Le Brun, dessinateur ;
Jacques Gérard Milbert, graveur. 1812. Estampe.
In : Voyage pittoresque à l’Ile-de-France, au Cap de Bonne-Espérance et à l’île de Ténériffe, planche 12.
Coll. Musée de Villèle

Ils construisent leur camp composé d’ajoupas, de hangars. Ils herborisent et éprouvent les plantes médicinales. Les femmes fabriquent les vêtements, car les chefs portent les signes distinctifs des pays d’origine. Samson, le chef sakalave, est « enveloppé dans un vaste morceau de toile blanche relevée d’une bordure rouge vif et que les Malgaches appellent « saimbou ». Sa tête est surmontée d’un turban de toile, paré d’un bouquet de plumes rouges et blanches ». Le marron de base est vêtu de vêtements usagés récupérés lors des descentes sur les habitations côtières. Les femmes confectionnent des vêtements chauds à partir des plumes de volailles portées par tous les marrons. Ils changent leur identité et boivent à la coupe de leur culture ancestrale. En février 1801, un marron capturé apprend l’existence d’un camp de quinze à seize marrons dans les Hauts de Saint-Denis. Les chefs de ces marrons, Bastien, André et Marie-Louise appartenant à Ozoux, Valentin et Ferrière, se font appeler « Jacob (nom du gouverneur), Saint-Perne (ordonnateur) et Madame Jacob ». Ils s’amusent. D’après une tradition orale rapportée par J-M Mac Auliffe, l’îlet à Cordes aurait été perdu par les marrons lors d’une agape organisée à l’occasion d’un mariage. Informé par le marron malgache Fanor, un détachement de vingt-cinq hommes a donné l’assaut. Pris au dépourvu, les marrons ont été garrottés sans opposer la moindre résistance. Ils sculptent.

S’il n’est pas pris en charge par des marrons expérimentés, le jeune marron peut mourir de faim, de soif, de fatigue, de froid, d’une chute dans un précipice. Il meurt seul sans recevoir une sépulture. Ceux qui à force d’être mal nourris chez leurs maîtres ont une santé fragile, un organisme délabré, ont peu de chances de réussir leur vie de marron.

Le 20 décembre 1747, Marie Louise et Vao vont en marronnage. Trois jours plus tard, Vao tombe malade. Elle meurt le lendemain. Le 23 mars 1778, un esclave gardien à Saint-Leu découvre une esclave venant de Saint-Paul. Le lendemain plusieurs esclaves sont chargés de la conduire au bloc de Saint-Paul. Chemin faisant elle demande l’autorisation de se reposer. Elle s’assied et meurt. En 1804, vingt Malgaches s’évadent après leur débarquement, ils remontent la rivière des Galets et s’installent sur la cime d’un rocher. Ils utilisent le fanjan pour se nourrir, car cette plante renferme à la naissance de ses feuilles, une pulpe tendre et farineuse. Les anciens marrons qui se rangent sont utilisés comme guides des visiteurs de l’île. Le savant Bory de Saint-Vincent est accompagné de Philippe, un ancien noir marron pour se rendre à l’extrémité du Brûlé de Saint-Paul. L’esclave qui décide de rentrer après quelques jours de marronnage s’en remet au prêtre, ou à une personne connue pour sa bonté, ou parfois au gouverneur pour demander d’intercéder auprès de son maître pour qu’il ne soit pas sévèrement puni.
L’absence d’outils agraires (serpes, grattes, pioches), d’outils de menuisier et de charpentier (marteau, hache, scie, herminette, rabot, guillaume, ciseau, compas, terrière pour organiser leur vie, travailler la terre pour se nourrir, construire leurs cases, leur mobilier, l‘absence aussi d’ustensiles de cuisine (fourchette, cuillère, gobelet, jarre), de vêtements pour lutter contre le froid, les conduisent inévitablement à revenir dans la partie côtière. Comme ils ne sont pas les bienvenus, sans ruse et sans violence, la récupération des outils, des ustensiles de cuisine, des armes, n’est guère possible. Ces razzias sont redoutées. Les grandes attaques des marrons se produisent des années 1730 aux années 1750.

Chronologie (non exhaustive) des descentes de marrons de 1735 à 1775

Années Nombre Lieux
1735 3 2 à Saint-Paul
1 à Saint-Pierre
1737 1 Saint-Leu
1738 4 3 à Saint-Paul
1 à Saint-Pierre
1742 1 Saint-Benoît
1743 3 1 à Bras-Panon
1 à Saint-Denis
1 à Saint-Paul
1747 1 Grande-Chaloupe
1750 2 1 dans les Hauts de Sainte-Marie
1 dans les Hauts de Saint-Paul
1752 1 Sainte-Marie
1758 1 Rivière-des-Pluies
1759 1 Rivière-des-Pluies
1764 1 Saint-Denis
1765 1 Saint-Paul
1766 1 Saint-Paul
1775 1 Grande Ravine

Les chefs sont ceux qui surclassent les autres lors de ces exercices. A partir de 1744, François Mussard exécute ses grandes menées pendant dix ans dans le cirque de Cilaos qui est alors le centre nerveux du marronnage. En 1751, il tue Mafac et Rahariane sa femme. Mafac ou Mafate a son épaisseur historique (du malgache mahafaka qui guérit – non seulement à partir de plantes mais aussi de l’eau sulfureuse (Ran Mafaque), il n’est pas le fruit de l’imagination des conteurs. L’espace bourbonnais a été domestiqué et sacralisé par l’ombiasy. La distribution des toponymes dans le cirque se rattache à la tradition politique malgache. La maison astrologique malgache a été superposée au périmètre de ce cirque. Avec une zone de bon augure qui couvre les directions Nord (du cap noir au Cimendef) et est (du Cimendef à Marla) et celle de mauvais augure le sud (jusqu’aux Trois Roches) et l’Ouest (qui rejoint le point septentrional en longeant le Maïdo) et les quatre coins : le coin Nord-Est ou destin Alahamady est la position du pouvoir souverain, le point le plus puissant (Cimendef), le coin du Sud-Est ou destin Asorotany, position du pouvoir sacré, coin des ancêtres avec les tombeaux et les monuments funéraires (les Trois Salazes), le coin sud- ouest ou destin Adimisana, position néfaste des sorciers, et le coin du nord-ouest ou destin Adijady, position du profane. Pour la tradition orale, François Mussard n’a pas éradiqué le marronnage à Cilaos (du malgache tsi ilaoza (na) que l’on ne quitte pas).

Le marronnage. Tony de B. del. In : Les Marrons, L.-T. Houat, Paris, Ebrard, 1844.
Bibliothèque administrative et historique des Archives départementales de La Réunion

La dernière grande lutte contre les marrons se serait déroulée vers 1829 à l’îlette à Malheur au-dessus de la rampe Ferrand, où vivaient une quarantaine de marrons. Pour l’atteindre, il fallait gravir un rempart presque à pic et passer sur un tronc d’arbre jeté sur un précipice. La lutte a été difficile. Le détachement dirigé par Léonard Guichard perdit deux hommes. Parmi les marrons, vingt-cinq ont été tués. Tous les autres blessés ou non ont été faits prisonniers. En 1849, les tombeaux des victimes sont toujours visibles.

L’expression « guerre de cent ans » employée par Victor Mac-Auliffe pour désigner cette chasse à l’homme, n’est pas appropriée. Si l’état d’esprit entre les habitants et les marrons est à la guerre, la lutte n’est pas menée sous forme de guerre. Les marrons n’agissent pas après avoir défini une stratégie et une tactique, face à des Blancs dans une bataille rangée avec autant de moyens matériels qu’eux. Ils subissent des attaques surprises pendant lesquelles ils sont terrassés ou neutralisés sans livrer un combat régulier, sans pouvoir riposter à leurs adversaires. Les armes sont inégales. Les Blancs sont armés de fusils, les esclaves n’ont le plus souvent que des sagayes.

Fusil à silex. Anonyme. 2e moitié 18e siècle.
Musée historique de Villèle.

Il ne s’agit pas non plus d’une guerre civile qui traduit un défaut de l’Etat, un Etat faible. Or, à l’île Bourbon, c’est le gouverneur qui impulse la lutte contre les marrons. Il use de la force pour rétablir l’ordre. Les chasseurs sont aux ordres d’un Etat fort. Dans la guerre civile, il n’a plus de distinction entre combattants et non-combattants. Dans la chasse aux marrons, cette distinction est nette. De plus, des deux côtés, tous les membres ne sont pas soulevés pour emporter la victoire. Les attaques des marrons sont limitées dans l’espace et le temps. Il pourrait s’agir d’une sorte de guérilla avant l’heure, puisque l’ennemi se sent partout menacé, son moral est usé par le harcèlement et les combattants sont quasi invisibles. Comme la guérilla ne peut vaincre, au fur et à mesure l’objectif est de constituer un corps de bataille assez puissant pour mener de larges opérations décisives. Les razzias des marrons ne présentent pas cette configuration.

Les razzias

Les données statistiques confirment la rareté des razzias après 1748 révélée par la tradition orale. Les vieux Malgaches se sont assagis ; ils ne croient plus en l’efficacité des razzias. Les Africains soutiennent désormais cette solution. Les descentes de marrons sont souvent la conséquence des outrances des chasseurs. Ils passent leur camp au peigne fin et emportent tout. Ils tuent les chiens qui donnent l’alerte. En juin 1753, les hommes du détachement de Patrice Droman tuent trente-et-un chiens lors de l’attaque d’un camp au Bras de la Plaine. En limitant leurs attaques aux habitations, sans s’attaquer aux symboles du pouvoir décisionnel, les marrons ne se donnent pas les moyens d’écraser l’ennemi. Comme ils n’ont pas en plus le soutien des esclaves d’habitation, la perspective des razzias occasionne une vraie frayeur chez les maîtres, mais ces attaques n’ébranlent pas le système.

Mahé de La Bourdonnais (1735-1746) organise d’abord des opérations « coups de poing ». Il opte pour la tactique des grandes battues. Mais les résultats sont peu encourageants. Le 20 mars 1739, neuf détachements dont un venu de la rivière des Remparts, deux de la rivière d’Abord, un de Sainte-Suzanne, trois de Saint-Paul et deux de Saint-Denis, se retrouvent à la Plaine des Cafres aux abords du Piton de Villers pour un ratissage. Alertés par leurs chiens, les marrons s’enfuient. Ils découvrent 36 ajoupas vides. Il opte ensuite pour le harcèlement, opération menée par de petits détachements d’une dizaine d’hommes tous habiles au tir, placés sous l’autorité d’un chef incontesté.

La chasse exige d’excellentes capacités physiques pour franchir les obstacles du terrain, de l’adresse au tir. Selon Eugène Dayot, cette mission ne peut être entreprise sans un minimum d’entraînement. Il en cite deux : la loterie (un exercice de tir) et la grimpe (exercice d’escalade). La grimpe se subdivise en deux : la grimpe sèche représente la chasse aux fouquets, il s’agit de grimper au haut d’un arbre au moyen de deux crampons et la grimpe chargée simule la chasse aux cabris ou aux noirs, il s’agit de monter et descendre le même arbre chargé d’un poids de trente livres.

La fuite par mer

La fuite par mer, la nuit, apparaît à une minorité d’esclaves comme la meilleure solution pour mettre la plus grande distance entre eux et les esclavagistes et redevenir libres. Le poète Parny dans une lettre à son ami Bertin du 19 janvier 1775 écrit en parlant de ce type de résistance : « Leur patrie (Madagascar) est à deux cents lieues d’ici. Ils s’imaginent cependant entendre le chant des coqs et reconnaître la fumée des pipes de leurs camarades. Ils s’échappent quelquefois au nombre de douze ou quinze, enlèvent une pirogue et s’abandonnent sur les flots. Ils laissent presque toujours la vie, et c’est peu de choses, lorsqu’on a perdu la liberté ». La fuite par mer inquiète le pouvoir civil et les maîtres, non par son pouvoir déstabilisateur mais par les pertes sèches qu’elle occasionne aux propriétaires. La colonie a été confrontée à ce problème dès 1704. Le Conseil Supérieur châtie de manière exemplaire ceux qui sont surpris juste au moment où ils mettent leur plan à exécution afin de détourner le plus d’esclaves de ce funeste penchant. Si ces complots sont assez rares de 1750 à la veille de la période révolutionnaire à Bourbon, les projets, eux, ne manquent pas.

La révolte

La révolte des nègres. 1848. Estampe.
In : Deux prix de vertu, par Edouard de Lalaing, A. Mame et fils, 1898, p. 81.
Coll. Bibliothèque Départementale de La Réunion

Les esclaves n’ont qu’une aspiration, vivre libre. Si certains à Bourbon ont tenté de s’enfuir de l’île par mer, d’autres ont fui la tyrannie de l’habitation pour se réfugier à l’intérieur de l’île. La révolte est une forme de résistance beaucoup plus radicale. De 1705 au Premier Empire, toutes les tentatives de révolte pour conquérir par la force la liberté ont échoué, car elles ont été dénoncées par un homme de l’intérieur. En 1705, à Saint-Paul, Sébastien esclave de Pierre Léger, Samban esclave de Jacques Delâtre, Mathieu esclave de Pierre Bachelier sont condamnés à être brûlés à vif, car ils ont voulu assassiner tous les Blancs pour se rendre maîtres des armes et de l’île. Dans le même quartier, le 1er juin 1719, Louis Ponnant esclave d’Antoine Cadet est condamné à être pendu et pour crime de rébellion. Entre février et mai 1730, pour avoir voulu tuer leurs maîtres et tous les Blancs sans exception Claude, Simayet, Cambon et François d’abord, Barbe, Sébastien et Jacques ensuite subissent le supplice de la roue avant d’être étranglés et exposés.

Les administrateurs à l’époque royale (1767-1789) ne prennent pas au sérieux les projets de complots éventés. Le représentant du roi Louis XV dans la colonie, Bellecombe, en est persuadé pour ce qui est de l’agitation de 1769 et il admet sans peine que la prétendue révolte de 1779 « n’a été qu’une affaire d’épouvante, que les habitants ont fait beaucoup plus grande qu’elle ne l’était ». Les esclaves coupables ne voulaient guère que voler, et peut-être mettre le feu dans quelque case ou poulailler ; un esclave gardien a reçu des coups de couteau tout simplement parce qu’il s’est opposé à un voleur de cannes à sucre. Le projet de complot dénoncé est à ses yeux pitoyable, car les supposés chefs ne disposaient que d’un bout de baïonnette cassée et de quelques lances comme armes . Cependant, la répression a été terrible . Elle produit les effets escomptés, car durant les dix dernières années de l’Ancien régime, il n’y a plus de traces de révolte servile. Le seul épisode inquiétant éclate en octobre 1788 à Saint-Louis, une centaine d’esclaves s’évadent au-dessus de l’habitation de Grimaud . Dix ans plus tard, l’heure n’est plus à la relativisation des actes de ceux qui sont vécus comme les ennemis de l’intérieur. Ainsi, en octobre 1799, à Sainte-Rose selon les confidences faites par l’esclave malgache Adonis à son maître, Levillan-Desrabines, près de cinq cents esclaves doivent se rendre à Saint-Denis pour endormir ou rendre fous au moyen de petits bouts de racines tous les Blancs réunis à la comédie.

Sous l’Empire, la crainte d’une attaque anglaise amène les habitants à ne plus négliger leur sécurité. Pour les rendre inoffensifs et éviter des gestes d’hostilité après la prestation du serment d’allégeance, les Anglais décident de les désarmer. Ces habitants ne peuvent plus rien contre la menace représentée par les esclaves, non pas par ceux partis en marronnage, mais par ceux des habitations.

Les révolutionnaires de 1789 n’ayant pas apporté l’abolition de l’esclavage, lors de la conquête de l’île en 1810 par les Anglais, en les voyant désarmer les colons, les esclaves croient que ces nouveaux gouvernants seront plus généreux que les Français. Quand ils comprennent que l’abolition de l’esclavage n’est pas à l’ordre du jour, ceux de la région du Gol et Saint-Leu vont se révolter en novembre 1811. Pour la première fois, un projet est exécuté. Pour défendre leurs intérêts, les colons de cette localité n’attendent pas l’arrivée des forces anglaises. Ils organisent eux-mêmes la riposte et reprennent la situation en mains. Cent trente-cinq révoltés sont arrêtés et emprisonnés à Saint-Denis. Vingt-cinq d’entre eux sont condamnés à mort par la justice anglaise, car la justice est bien rendue alors au nom du roi d’Angleterre, George III. En 1832, un autre complot dénoncé à Saint-Benoît, dont le chef est né à Maurice, inquiète les gouvernants. Il n’est pas mis à exécution. Le 7 novembre 1836, Guillaume et Augustin, révélateurs du dernier complot de Saint-André reçoivent la liberté et une pension annuelle de 360 francs.

Le refus d’enfanter

Ce type de résistance concerne un certain nombre de femmes esclaves. Si elles ne peuvent briser leurs fers, elles ne veulent pas pour autant porter la responsabilité d’avoir mis en esclavage un être humain. La femme esclave mariée limite ses naissances en retardant la conception du premier enfant. A l’époque royale, Bellecombe et Crémont tentent d’encourager la fécondité des esclaves par des gratifications. Cependant, leur projet d’accorder l’affranchissement aux couples de Noirs qui auraient donné dix esclaves à leurs maîtres démontre leur volonté de lutter contre la résistance des esclaves, même s’il échoue. L’auteur d’un mémoire sur Bourbon en 1785 attribue l’échec de la politique nataliste surtout à ce fait : « La principale cause est que la plupart de ces femmes détruisent leur fruit ne voulant pas mettre au monde des enfants aussi malheureux qu’elles ». La situation ne s’améliore pas sous la Restauration, sinon lorsque l’Etat a décidé d’abolir la traite en 1817, les habitants n’auraient pas eu besoin de faire entrer clandestinement des esclaves avant d’avoir recours à des travailleurs importés munis d’un contrat d’engagement. Les familles recomposées qui apparaissent au moment de l’abolition de l’esclavage ne doivent pas conduire à ériger la mise au monde d’enfants par les femmes esclaves comme un acte de résistance par excellence.

Les autres formes de résistance

Le chant, la danse, la recherche de sirandanes (devinettes), le rire sont des stratégies inventées par les esclaves pour sortir indemnes de la nuit de l’esclavage et ne pas être broyés par le stress secrété le système économique en vigueur. Grâce à ces artifices, ils se sentent libres et ne tiennent plus compte des considérations de la société dans laquelle ils évoluent.

Notes
[1] AN, Col. C 4/100, Lettre de Saint-Maurice et Courcy aux administrateurs généraux du roi du 9 août 1779
[2] AN, Col. C3/13, Lettre au ministre du 12 janvier 1770.
[3] ADR, L 82, Lettre du 13 octobre 1788 de Cossigny à Enault
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